La Treizième revient… C’est encor la première;
Et c’est toujours la seule, ou c’est le seul moment;
Car es-tu reine, ô toi ! la première ou dernière ?
Es-tu roi, toi le seul ou le dernier amant ?…
Aimez qui vous aima du berceau dans la bière ;
Celle que j’aimai seul m’aime encor tendrement :
C’est la mort, ou la morte… O délice ! ô tourment !
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.
Sainte Napolitaine aux mains pleines de feux,
Rose au coeur violet, fleur de sainte Gudule :
As-tu trouvé ta croix dans le désert des cieux ?
Roses blanches, tombez ! vous insultez nos dieux,
Tombez, fantômes blancs, de votre ciel qui brûle :
– La sainte de l’abîme est plus sainte à mes yeux !
Gérard de Nerval
J’ai toujours pensé que Nerval, c’était le génie de Baudelaire avant l’heure! On a déjà de façon intuitive chez Nerval ce que Baudelaire a ensuite plus ou moins théorisé en l’appelant « alchimie verbale », ou encore « sorcellerie évocatoire »: un jeu sur les mots, leurs associations, l’effet des connotations qui prime sur la seule et simple dénotation. Il y a dans la poésie de Nerval de nombreux vers qui ont une telle résonance , une telle puissance évocatoire que l’on se sent, à se les répéter sans fin intérieurement, emporté par une force , un courant qui ne vous lâchera plus.
Des vers comme:
« et mon luth constellé porte le soleil noir de la mélancolie »
s’associent dans mon esprit à d’autres de Baudelaire:
« ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage traversé ça et là par de brillants soleil »
« vois se pencher les défuntes années/ sur les balcons du ciel en robes surannées »
Toute la force du symbolisme qui « explosera » chez Baudelaire pour se poursuivre en mutant et en se « colorant » diversement chez Rimbaud, Mallarmé et Valéry, est déjà pleinement présente chez Gérard de Nerval !
L’Artemis d’Ephese et l’alchimie. Accéder à l’éternel retour que promet la déesse, transformer le plomb de deuil en or de l’amour sur lequel le temps n’a pas de prise. Une splendeur !
Ce sonnet est un réel frémissement, oui oui oui. Au sortir de la lecture de ce texte, l’on se sent réellement transformé. On est imprégné par l’identité de ce gentil Gérard, déchiré par un passé mythologique, à la recherche d’une vérité irréelle. Cette Artémis, déesse de la nature, devient un vrai héraut du temps qui passe inexorablement. Cependant je trouve cela un peu bâclé dans l’idée et l’on comprend pourquoi de Nerval, avec cette vie si tourmentée, a fini pendu à côté d’un égout.
Dans une société emplie de cette glaçante impétuosité ésotérique, rien de tel qu’un poème de Gérard de Nerval… A lire ce texte, on se prend à rêver de sa propre sainte Gudule, ahhh Gérard, j’en connais certains à qui tes textes feraient un bien fou.
Ce poème est une véritable douceur pour notre pensée et notre coeur, dans ce monde décadant mené par la téléréalité. Il est bon, chaleureux et agréable de pouvoir se retrouver dans une communauté si soudée et fervente de belles lettres, afin de se nourrir l’esprit de connaissances que, seuls les poètes sont aptes à nous transmettre.